Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Morlaix Socialiste
  • : Blog de la section morlaisienne du Parti Socialiste
  • Contact

Recherche

/ / /

La vivacité et la teneur des débats sur la nation en France suivent globalement les séquences socioéconomiques. Aux périodes d’ouverture de la nationalité, liées à des contextes de pression démographique ou de reconstruction après-guerre (lois de 1889 et de 1927, Trente glorieuses) succèdent des périodes de fermeture, liées aux crises économiques (notamment depuis les années 1970). Les figures de l’immigré évoluent, selon, du bon travailleur servile à l’envahisseur menaçant et la Nation française s’incarne, selon, dans le message universel du cri de guerre des soldats de Valmy ou dans une étouffante réduction catholique et blanche.

L’organisation du forum sur « le socialisme et la nation » jette donc un trouble. Est-ce que la nation serait, comme on l’a dit hâtivement pendant la campagne présidentielle, une valeur que la gauche aurait coupablement abandonnée à la droite ? Mais de quoi est-il question précisément ? de patriotisme ? de remise en cause du droit du sol ? d’identité ?

Rappelons avant tout que nous ne sommes plus au xviiième ni au xixème siècle : la nation est en France un concept bien stabilisé. La célèbre définition qu’en donne Ernest Renan, « Une nation est une âme, un principe spirituel »[1] continue certes d’entourer le concept de nation d’un halo mystique, nous en parlerons plus loin. Mais aujourd’hui, avant d’être un sentiment, une appartenance, une identité culturelle ou linguistique, voire religieuse, la nationalité est un caractère juridique des personnes. C’est une évidence, mais la nation est avant tout la collection des personnes de même nationalité.

1. Si l’on s’en limite à la définition juridique de la nation, les choses semblent simples : on est dedans ou on est dehors.  Ainsi, on est, sur le sol français comme à l’étranger, français ou étranger. Il y a une frontière invisible, non géographique mais juridique, qui court entre les hommes et qui les sépare en deux camps.

1.1. Une définition aussi claire constitue un premier défi aux socialistes, qui sont intrinsèquement internationalistes, ainsi qu’à tous les républicains laïcs, qui voient en l’humanité une fraternité. L’internationalisme n’est pas un simple slogan de congrès. Il est historiquement la pierre angulaire de la transformation durable de la société, l’outil pour mettre en échec le triomphe du capitalisme transnational : les frontières juridiques n’existent pas pour les capitaux, elles ne peuvent freiner l’émergence de la nouvelle société socialiste. La volonté de prolonger le combat politique hors du cadre national a été au cœur de toutes les discussions théoriques à gauche. Mais l’internationalisme a eu bien du mal à supplanter les enjeux nationaux et patriotiques lorsque l’heure des choix a sonné. La première guerre mondiale, et à sa suite tous les traumatismes du xxème siècle, ont piétiné ces aspirations internationalistes tout en les rendant toujours plus urgentes. Cette histoire, encore très présente dans tous les esprits, ne facilite pas l’acceptation qu’un fossé infranchissable entre les hommes soit creusé par une décision en droit. La chute du mur de Berlin et la mondialisation de l’économie montrent en outre que l’internationalisme n’est pas une lubie surannée ni une utopie lointaine. Penser le monde des hommes reste une urgence.

1.2. Une définition aussi claire montre à l’inverse qu’il n’y a pas en France de problème d’immigration. C’est en effet une particularité démographique française : avec un solde migratoire représentant 1,7 ‰ de sa population, la France est un pays de faible immigration annuelle. La Grande-Bretagne est à 4 ‰, l’Italie est à 10 ‰ et l’Espagne à… 14 ‰. Les 5 millions d’immigrés, dont 2 millions ont acquis la nationalité française, représentent moins de 10 % de la population, contre 20 % en Allemagne, 28 % en Suisse, 18 % au Canada. Précisément, « la France, à la différence de ses voisins, est un vieux pays d’immigration. À de rares exceptions près, comme la crise des années 1930 ou le choc de 1974, elle accueille des migrants depuis le milieu du xixème siècle. »[2] Ainsi, « près d’un Français sur quatre a au moins un grand-parent immigré et l’on arriverait sans peine à un Français sur trois avec une génération de plus. » En effet, « pour modifier la composition de la population, une immigration n’a nul besoin d’être massive (…) ; il suffit qu’elle persiste des décennies durant. L’infusion durable fait mieux que l’intrusion massive (…). » Notre empire colonial français a mélangé les sangs et nombreux sont les descendants de colonisateurs « gaulois » et colonisés « indigènes ». Ce brassage de la population ne s’est certes jamais fait sans heurt, mais les socialistes doivent rappeler qu’être Français, c’est accepter de vivre dans ce mélange imparfait et incessant.

1.3. C’est un âpre combat contre l’opinion qu’il faut mener. Les sondages montrent que les Français pensent que la France est l’un des premiers pays d’Europe par l’intensité des flux migratoires, alors qu’elle occupe plutôt le bas du tableau européen. Ils pensent également, selon les sondages, que la France accueille 30 % d’étrangers, alors qu’elle n’en accueille pas 10 %. Cela mesure la surintensité médiatique de la question de l’immigration, la foule d’idées reçues et justifie que les socialistes considèrent la question de la nation comme secondaire au regard de ces résultats – à condition d’accepter de mener une bataille politique de conviction pour amener notre peuple à la raison. Mais cela signifie surtout que parmi les 30 % de la population perçus par leurs concitoyens comme des étrangers, la grande majorité est dotée de la nationalité française ! Quoi de plus dévastateur pour la cohésion nationale ! Ce n’est pas la présence d’étrangers sur notre sol qui pose problème, mais l’intégration de tous les Français, quelles que soient leurs origines, dans un ensemble cohérent. La gauche doit considérer que l’intégration est une politique publique à la charge de tous, et pas seulement de ceux qui devraient s’intégrer sans qu’on leur ouvre la porte. Une telle politique recoupe par ailleurs les politiques de justice sociale et de laïcité.

1.4. Les socialistes auraient tort en revanche de se désintéresser des lois contre l’immigration qui sont votées à forte cadence par la droite depuis 2003. Est-ce la peur d’être taxée de laxisme qui les paralyse ? Les exercices gouvernementaux de la gauche n’ont pourtant pas frappé par leur mansuétude. Le seul laxisme en la matière est celui de la pensée, de l’ignorance des chiffres. Les socialistes doivent dire et redire que ce ne sont pas les flux migratoires qui posent problème, mais le fait que la communauté nationale ne reconnaisse pas une partie des siens parce qu’ils n’ont pas la même couleur de peau ou les mêmes références culturelles. Les socialistes doivent dire et redire toutes les souffrances inutiles que ces lois vont engendrer. Ils doivent dénoncer l’ineptie de prendre modèle sur l’Espagne et l’Italie qui viennent, par des régularisations massives, de faire exploser leurs quotas d’immigration (Espagne 2005, quota de 6.594 emplois et normalizacíon de 573.300 permis de séjour ; Italie 2006, quota de 170.000 portés en cours d’année à 520.000, soit cinq fois le flux français avant la loi de 2006). Ils doivent déconstruire l’idée que la « capacité d’accueil » est une donnée et non une variable politique. « La France se serait-elle engagée dans les grands mouvements démographiques qui ont marqué son histoire si elle avait mesuré au préalable ses capacités d’accueil ? Compte tenu de la pénurie de logements et d’écoles, était-il raisonnable de se lancer dans le baby-boom en mettant au monde 200.000 enfants de plus dans la seule année 1946 ? »[3] Ils doivent surtout mener et gagner un combat culturel. La valeur centrale des socialistes n’est pas la nation fer de lance de l’identité, mais la fraternité.

 

2. On ne peut évidemment pas se limiter à l’approche juridique de la question des rapports entre socialistes et nation. L’histoire de la France a deux particularités. La première, c’est que le peuple français s’est construit en même temps que son État, depuis mille ans. La seconde, c’est la Révolution française, qui est la matrice du sens moderne du mot « nation ». C’est ici que contre la Cité de Dieu de Saint Augustin fut construite la Cité des hommes, et que la souveraineté fut arrachée à Dieu par le peuple. La nation prit le sens de peuple doué de souveraineté. L’État, incarnation de cette souveraineté, est indissociable de la nation en France, de même que la laïcité.

Mais la Révolution française fut à la fois une rupture profonde et une continuité. « La Révolution continue le christianisme et elle le contredit. Elle en est à la fois l’héritière et l’adversaire. »[4] À ce titre, « la laïcité, qui constitue dans le christianisme un progrès majeur, hérite cependant du monothéisme l’unicité de l’idéal supérieur et perpétue, de la sorte, la tradition monothéiste sous une forme sécularisée. »[5] La Révolution a elle-même perpétué l’État-nation sous une forme extrêmement centralisée qui rend inséparables les notions de citoyen, de nation, d’État et de République.

2.1. La candidate socialiste à la présidentielle a cherché à raviver le culte de la nation-Dieu en proposant de lui installer un autel dans chaque foyer. Les réactions furent nombreuses et certaines ruptures se consommèrent à cet instant. C’est une erreur en effet d’invoquer un retour à la tradition révolutionnaire du xviiième sans prendre en considération l’histoire du xxème. L’émancipation des individus et des peuples prônée par la gauche s’est longtemps faite dans le cadre de la nation, et le corps des socialistes n’a jamais manqué pour défendre la nation en danger. Mais après la deuxième guerre mondiale, le drapeau français flottait sur les charniers de la décolonisation. Être appelé sous les drapeaux signifiait alors fouler aux pieds les valeurs socialistes. L’émancipation des individus et des peuples s’est retournée contre la nation. Comment ne pas comprendre le sentiment mêlé, devant le drapeau français, de ceux qui eurent vingt ans dans les Aurès ?

2.2. Comme l’avènement de la nation a couvert la colonisation extérieure, il a justifié la colonisation intérieure. Aujourd’hui encore, la nation est mobilisée par une partie des socialistes pour s’opposer à la régionalisation et à la mise en valeur des langues régionales. La coïncidence parfaite entre peuple, État et nation est pour eux une condition de stabilité et un pilier de l’identité française. Mais, là encore, nous ne sommes plus au xviiième siècle. La nation n’a plus besoin des colonnes de Tureau pour rester elle-même.

2.3. Le retour strict à la valeur nation recèle une autre contradiction pour les socialistes, car il réclame l’application du principe cujus regio, ejus religio, où la nation fait office de religion dominante. La participation à la vie de la cité est en France conditionnée par la nationalité. On ne peut à la fois proposer de donner le droit de vote aux étrangers et revenir à une lecture monothéiste du mythe révolutionnaire.

Les socialistes se retrouvent tous sur l’idée que la position d’un homme dans la société ne doit pas être déterminée par des données extrinsèques (nationalité, capital familial, handicap, prédestination des âmes…), mais par les variables intrinsèques de ses actes en conscience et en responsabilité. Car la France est aussi la patrie de l’existentialisme. Une lecture « messianique » de la nation est essentialiste et ne peut que heurter les valeurs socialistes. Celui ou celle qui veut s’impliquer dans la construction du bien commun et dans la vie de la Cité des hommes doit pouvoir le faire indépendamment de ses origines. Que la nationalité soit un obstacle aux bonnes volontés n’est pas acceptable pour les socialistes.

2.4. Il ne s’agit pas pour autant de sombrer dans une marée de repentances indistinctes ou de haine de soi, ni de rejeter les avancées que la Révolution française a conquis au bénéfice de l’humanité tout entière. Préserver l’acquis des Lumières, c’est aujourd’hui les mettre à jour dans notre contexte historique mondial, et non les fétichiser.

Par exemple, les individus collectionnent désormais des sensations d’existence de manière extrêmement imprévisible, et jamais les identités individuelles n’ont été aussi riches de diversité. Ce serait un contresens de proposer à chacun de se fondre dans une nation qui serait un moule unique : à l’inverse, il faut promouvoir une laïcité comme droit à l’indifférence — chasser de l’espace public et de l’état civil ce qui doit relever de l’intimité. Il faut que les socialistes eux-mêmes cessent à cet égard de segmenter la nation en catégories intimes, de représenter une société découpée en tranches et non mise en mouvement dans un projet universel.  La recherche de la liberté des individus et des peuples doit continuer de guider les socialistes. L’émancipation de chacun fait la liberté de tous. Ce n’est pas par l’affichage d’une uniformité coercitive et hypocrite et ce n’est pas non plus par l’addition de revendications catégorielles et communautaristes que les socialistes trouveront leur chemin. C’est par l’universalisme, pas par le nationalisme ni par le multiculturalisme, qu’on sera à la fois fidèle à nos valeurs socialistes et ancré dans le xxième siècle.

 

3. La part relative du solde migratoire dans la croissance de population, aujourd’hui étonnamment faible par rapport aux autres pays européens, va progressivement croître pour représenter, vers 2040, le seul moteur démographique de la France. Nous avons une génération pour préparer les opinions et les institutions à cet événement historique, aussi traumatique pour la France que la fin de son empire colonial. La droite ne le fera pas, au contraire. Oserons-nous affronter l’opinion et les médias ? Oserons-nous être nous-mêmes ?

*

Serge Bossini
Gwenegan Bui



[1] Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, 1882

[2] François Héran, Le temps des immigrés, la république des idées, Seuil, Paris, 2007

[3] François Héran, ibid.

[4] Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, 1853.

[5] Georges Corm, La Question religieuse au xxième siècle, La Découverte, 2006.

Partager cette page
Repost0